Glitch Witch de Meg Stuart, avec Omagbitse Omagbemi et Mieko Suzuki, est une œuvre étrange, à la beauté obscure et entêtante qui ouvre sur l’inconnu.
Une scénographie magnifique, signée de Nadia Lauro, crée un monde rétro-futuriste. Une terre aussi désolée que brillante, laissant apparaître des boules à facettes sur un tapis de poussières noires, comme si le carbone avait tout ravagé pour laisser cendres et diamants, escarbilles et charbon sur le sol. Dans ce décor beau et triste à la fois, traversé par les éclairages superbes de Nico de Rooij, trois femmes entrent, portant des sortes de cache-visages, et s’affalent dans un moment de repos. Mais quand Mieko Suzuki, compositrice et musicienne, enlève son masque et se met aux manettes derrière sa console, ce monde désolé aux ruines encore fumantes peut faire soudain penser aux massacres du 7 octobre 2023 au festival Supernova en Israël, peut-être aussi au chaos général de notre monde ou à notre environnement, totalement détruit par l’humanité. C’est sûrement ce que cherchent à réparer ces trois femmes qui errent dans ce magnifique espace inhospitalier. Leurs corps dysfonctionnels, qui entrelardent leurs mouvements de poses genre « comics » américains et de burlesque carnavalesque, semblent vouloir restaurer des repères qui leur échappent.
Des formes difformes
La musique de Suzuki est impressionnante, mêlant sons cristallins et timbres grinçants, impulsions brisées et profondeur des résonnances qui envahissent le plateau de leurs répercussions, ou plutôt de leurs répliques, comme pour faire trembler cette terre fantasmée. La compositrice danse aussi, tout aussi ahurissante dans sa présence chorégraphique que musicale, habitant d’une sorte de sauvagerie interne, de désordre intérieur chacun de ses gestes. Voilà pour le Glitch, qui signifie bug, mais aussi déformation, ou déviation. Et d’une certaine façon, tout ce qui pourrait « faire danse » est dévoyé, s’arrête dans son élan, se délite dans sa trajectoire. Cela produit une sorte de gestuelle Frankenstein, composée de bouts et de morceaux qui ne s’accordent pas ensemble, voire qui se heurtent ou s’entrechoquent, le tout émaillé de grimaces du corps et du visage, qui pourraient faire signe vers la – ou plutôt les – sorcières de Witch ! Ce mot ne veut-il pas dire aussi miroir déformant ? Reste des moments très émouvants, dans les façons de s’attraper, de se consoler, dans cet univers d’après catastrophe qui pourrait être l’aube d’un nouveau monde.